Ce que tu vis seulement te trace
La danse, avant de gagner la scène, se révélait au grand air, partout dans le monde. Elle entrait en résonance avec le vivant, puisant dans la terre, un ancrage et dans les éléments, une matière première.
Aujourd'hui, habitée par une longue pratique en danses d'improvisation, un engagement du corps qui fait autant confiance à l'entraînement régulier qu'à une acuité à saisir l'instant et sa profondeur, une femme se lance dans une fable sauvage.
Un dialogue prolongé avec le paysage, le vent et les silences. Ecrire autant avec la lumière qu'avec le corps et son environnement. Dans les landes de son territoire d'origine, la Normandie, en ces lieux où le naturel a pris le dessus. Dans ces espaces farouches, foisonnants, toujours en mouvement, les plus proches finalement de nos expériences sensibles du monde.
Cette femme, c'est la photographe. Si la danse a longtemps aiguillé sa photographie, sondant l'espace et le geste l'appareil en mains, apparaître désormais dans l'image a pris un sens nouveau avec le temps.
Ici, l'appareil posé et réglé pour se déclencher seul, personne ne regarde à travers le viseur. Les images recueillies conserveront une part d'aléatoire. Une valse intime avec le paysage, sa vivacité, dont la majeure partie échappera. La photographie découpe. C'est à l'abri des regards que d'autres gestes pourront affleurer, l'accessoire se retrancher et une histoire instinctive s'écrire.
Ce que l'on vit nous révèle. En cherchant l'insolite et un autre lien avec le vivant, disons l'imprévisible, une nouvelle trajectoire se dessine, se murmure. En restant à l'écoute. Partant du geste, suivant son élan.
Tu ne traces rien. Ce que tu vis seulement te trace dans la mesure où ce que tu vis est inconnu de tous, même de toi - Francis Palanc, artiste brut (1928-2015)
What You Experience Only Shapes You
Before taking to the stage, dance was revealed in the great outdoors, all over the world. It resonated with the living, drawing anchorage from the earth and raw material from the elements.
Today, inspired by a long practice in improvisational dances, a commitment to the body that relies as much on regular training as on an acuity to grasp the moment and its depths, a woman launches into a wild fable.
A prolonged dialogue with the landscape, the wind and the silences. Writing as much with light as with the body and its environment. On the moors of his native Normandy, in places where nature has taken over. In these wild, teeming, ever-changing spaces, which are ultimately the closest to our sensitive experiences of the world.
This woman is the photographer. If dance has long guided her photography, probing space and gesture with the camera in hand, now appearing in the image has taken on a new meaning over time.
Here, with the camera positioned and set up to trigger on its own, no one is looking through the viewfinder. The images collected will retain an element of randomness. An intimate waltz with the landscape, its liveliness, much of which will escape us. Photography cuts away. It is out of sight that other gestures can emerge, the accessory can become entrenched and an instinctive story can be written.
What we experience reveals us. By looking for the unusual and another link with the living, let's say the unforeseeable, a new trajectory takes shape, is whispered. While remaining listening. Starting from the gesture, following its momentum.
You trace nothing. What you experience only shapes you to the extent what you experience is unknown to everyone, including yourself - Francis Palanc, outsider artist (1928-2015)
Les étendues intermédiaires
Au creux de l’espace qui se cache entre plusieurs images gît une substance discrète, invisible à l’œil nu, imaginaire, que la photographie argentique divulgue. Fruit d'expériences mêlant le visuel, le tactile et le physique.
Une émancipation du monde visible pour atteindre d'autres espaces sensibles, à l'aide d'un appareil brut, un jouet, avec une matrice au moyen format et une netteté relative. Sans aucun réglage à opérer, le geste se libère et les prises de vue glissent vers de multiples expositions, vers une fusion des expériences, de la mémoire, où l'émulsion crée l’espace.
Ces paysages intermédiaires invitent d'une certaine façon à rejoindre les plages du ressenti. Nés d'une impulsion spontanée, ils ouvrent d'autres strates perceptives où l'on retrouve les éléments fondamentaux enchevêtrés. Un monde qui ressemble étrangement au nôtre mais que l'on n'apercevra jamais sans pellicule.
Ils renouent avec une enfance du monde au sens de Jean-Pierre Néraudau, dans sa préface des Métamorphoses d'Ovide : un temps où l'on ne marchait que sur des métamorphoses, un temps où tout était contigu, les dieux et les hommes, les plantes et les minéraux.
Ces photographies réalisées à la prise de vue, sur le négatif, en deux, trois ou quatre déclics, se fient aux élans du corps, une envie de toucher. En superposant les couches de mémoire, elles se faufilent grâce à la chimie de l’autre côté du monde, où il y a plus à projeter qu'à voir.
Au-delà du visible je cherche les traces d’un paysage plus intérieur, peut-être même antérieur.
Le plus haut point de rupture envers cette société technicienne, l’attitude vraiment révolutionnaire serait l’attitude de contemplation au lieu de l’agitation frénétique. - Jacques Ellul
The Middle Expanses
In the space between several images lies a discreet substance, invisible to the naked eye, an imaginary substance that silver photography reveals. The result of experiments combining the visual, the tactile and the physical.
An emancipation from the visible world to reach other sensitive spaces, using a raw camera, a toywith a medium format matrix and relative sharpness. With no adjustments to operate, the gesture is set free, then the shots slide towards multiple exposures, towards a fusion of experiences and memories, where the emulsion creates the space.
In a way, these middle landscapes invite us to return to the realms of our feelings. Born of a spontaneous impulse, they open up other perceptive strata where we find the fundamental elements intertwined. A world that looks strangely like our own, but which we will never see without film.
They return to a childhood of the world in the sense of Jean-Pierre Néraudau, in his preface to Ovid's Metamorphoses: a time when we walked only on metamorphoses, a time when everything was contiguous, gods and men, plants and minerals.
These photographs, taken from the negative in two, three or four clicks, rely on the body momentum, an urge to touch. By superimposing layers of memory, they slip through to the other side of the world thanks to chemistry, where there is more to project than to see.
Beyond the visible, I look for traces of a more interior landscape, perhaps even earlier.
The highest point at which we can break away from this technocratic society, the truly revolutionary attitude, would be one of contemplation instead of frenetic agitation. - Jacques Ellul